Elzbieta, (à venir ...)

Couverture "Petit-Gris"

Petit-Gris, éd. l'école des loisirs, 1995

La couverture déjà nous met dans le bain. Telle une enveloppe en papier kraft, avec "Petit-Gris" comme destinataire et Elzbieta comme expéditeur, une illustration de Petit-Gris tamponnée en haut à droite en guise de timbre, mais ... pas d'adresse ... Exclusion, pauvreté, sans-abris, le ton est donné.

L'album commence par cette phrase :

Quand il était petit, Petit-Gris attrapa la pauvreté. Toute la famille l'eût en même temps.

Comme une maladie, comme une épidémie, comme quelque chose de dangereux dont il faut vite se débarraser, et qui se traduit dans l'histoire par l'acharnement de ceux qu'Elzbieta appelle "les chasseurs", envers Petit-Gris et sa famille :

Des chasseurs arrivèrent presque aussitôt. "Donnez-nous vos papiers !" ordonnèrent-ils. Ils n'en avaient pas. Alors les chasseurs déclarèrent : "Pas de papiers, pas de maison !". (...) Il fallut s'en aller.

(...) Les chasseurs allaient vite. Bientôt, ils étaient de nouveau là. "Où habitez-vous ?" demandèrent-ils. "Nulle part", répondit le papa. "Ce n'est pas ici", dirent les chasseurs. "Circulez !" Il fallut s'en aller.

(...) Dans leur bateau, les chasseurs allaient vite. Bientôt, ils étaient de nouveau là. "Halte-là ! Où allez-vous ?" demandèrent-ils. "Ailleurs", répondit le papa. "C'est défendu !" déclarèrent les chasseurs. "Pas de papiers, pas de maison. Délit de fuite, tous en prison !".

Pour améliorer leurs conditions de vie, échapper aux chasseurs, aller plus vite, les parents de Petit-Gris se posent plusieurs questions : abandonner Petit-Gris à des gens plus riches ? Non, ils ne peuvent s'y résigner. Aller ailleurs ? C'est la seule solution qu'ils trouvent et construisent "une île qui flottait sur la mer" avec des débris pour y arriver.

Jusqu'à la dernière interpellation des chasseurs, Petit-Gris avait un rôle passif, et la famille s'en sortait grâce aux réponses du papa. Mais pendant que ses parents construisent l'île flottante, Petit-Gris rammasse une éponge, malgré l'interdiction de sa maman. Dans l'affrontement final où l'incarcération semble inéluctable, Petit-Gris intervient et, en un coup d'éponge, il efface les chasseurs. "Heureusement que tu ne m'as pas écoutée !" dira la maman, "J'avais vu tout de suite que c'était une éponge magique", conclura Petit-Gris.

Cette fin en happy end laisse un goût ... bizarre ! La seule échappatoire possible à cette pauvreté, cette vie de fuite, de rejet, de répression, ce cercle vicieux, est la magie d'une éponge qui efface tout. Sans magie, Petit-Gris et sa famille ne s'en seraient-ils pas sortis ? Et la magie de l'objet consiste à effacer le monde : vivre hors du monde (marginalité ? mort ?) est-elle la seule solution pour Petit-Gris ?

Mais peut-être que tout ça me questionne, parce que je n'en fais pas la même lecture, la même compréhension du monde, qu'un tout-petit, et peut-être que l'intervention de Petit-Gris qui réussit finalement à sauver sa famille, à lui tout seul, est le plus important pour un enfant ?

http://jeunet.univ-lille3.fr/auteurs/fr_auteur.htm

 

Grenouille